jeudi 10 mars 2016

Que largo viaje!

22h19, 9 de marzo, 2016.

Nous voyageons depuis maintenant trois jours et allons passer notre troisième nuit dehors. Trois jours, qu'est-ce que c'est? Rien. Nada. Nothing. Mais je vois sur son visage que ces trois jours l'ont marqué, j'ai maintenant en face de moi un homme qui sait ce que c'est que l'épreuve, j'ai en face de moi quelqu'un qui a mûri rapidement, et suffisamment pour savoir que ce n'est pas assez. Je ne sais pas si il le sait mais je le vois dans ses yeux, dans chacun des traits de son visage. Et peut-être voit-il quelque chose qui s'y apparente sur le mien, mais je suis un peu trop narcissique pour lui avoir laissé le temps de me le dire avant de le penser.

Au début tout est allé vite, très vite, et très bien. Nous sommes sortis assez rapidement de San Javier, puis avons été pris pour Villa Dolores, plus grande ville, où quelqu'un nous a indiqué le chemin à prendre pour Quines. Il nous a dit que nous étions fous, de faire demi-tour, qu'il n'y avait rien là-bas, que nous allions sur de trop petites routes. Nous avons continué, car après tout nous avons tout le temps du monde, non? Puis arrivés au bon endroit pour faire du stop, nous avons attendu une demi-heure, le temps était long, nous remettions en question notre décision, mais toujours avec le sourire: ça irait! Puis une voiture nous a enfin pris et nous sommes arrivés au bout du petit village de Quines... Et quel village! Après être arrivés sur la route principale, un panneau nous a indiqué qu'elle était fermée. La raison quelques mètres plus loin: le pont qui ralliait cette route à la ville de Quines, au-dessus d'une rivière,était effondré. Le terme de «cortado», coupé/écourté/toute chose de cet ordre en espagnol me paraissait être le plus approprié au monde. Heureusement pour nous la rivière était à sec et nous avons à peine mouillé nos chaussures, frappés par la désolation féerique des lieux.

Au cours de mon, puis de notre voyage, j'ai remarqué que ces deux termes opposés se mariaient à la perfection. San Pedro et son inondation, des coins abandonnés ça et là, tout semblait tiré d'un autre monde, d'un film d'horreur des années 90 ; mais tout est réel ici, et sans cesser de s'émerveiller nous l'acceptons comme fait totalement normal, peut-être signe que notre esprit s'ouvre, ou bien alors que nous ne réalisons pas que c'est la réalité réelle. Souvent je me demande comment nous allons pouvoir vivre à notre retour en France. Comment faire pour vivre avec des gens qui comme nous avant n'osent vraiment s'imaginer que tout ceci peut exister? Bien sûr que nous savons que c'est vrai, que non le monde ne se cantonne pas à notre Europe si différemment pareille d'un bout à l'autre -bien que l'on ne m'entendra jamais dénigrer les merveilles que recèlent notre cher continent. Mais je divague!

Traverser ce village désolé nous prit deux heures, nous croisâmes quelques personnes qui furent de bon conseil pour trouver le chemin le plus pratique pour se rendre à Chamical, village charnière entre notre petite route et la grande route de la Rioja. Après quelques quarts d'heure à lever le pouce, nous avons été pris à l'arrière d'un petit camion benne (aucune idée de comment ça s'appelle!) par des gens adorables qui nous ont emmenés loin sur la route de la Rioja: trois heures de voyages à reculons à regarder le paysage défiler et espérer que le soleil pointerait le bout de son nez pour réchauffer nos corps frigorifiés (pour moi du moins ah ah) par le vent... Et pour permettre à Louis de bronzer un peu! Un camion nous prit ensuite directement après et nous arrivâmes dans la soirée, à la ville de la Rioja où nous avions décidé de faire escale pour la nuit. La traverser nous prit du temps, et trouver un café un peu plus. Là nous avons trouvé l'adresse d'un lieu pour dormir: un refuge chrétien tenu par une bonne soeur et quelques fidèles. Nous n'avions pas de quoi payer la chambrée à 200 pesos par personne, mais on nous accepta quand-même pour la nuit en échange de seulement 100 pesos, plus symboliques qu'autre chose, la centaine qu'il restait nous servirait à nous acheter de quoi manger.

 Le lendemain, après notre première nuit dans un lit depuis deux semaines, partir de la ville fut compliqué, et on se retint de voler un cheval avec difficulté ahah! Mais un homme nous emmena à la sortie de la ville, puis une femme un peu plus loin, et petit à petit, grimpant dans la montagne, nous avons été pris jusqu'à atteindre Tinogasta. La donne avait changé, si la veille nous trouvions qu'attendre trente minutes était long, de ce côté-là du pays attendre deux heures commençait à devenir une habitude, le passage se raréfiant. De plus, nos réserves de nourriture s'amenuisaient, mais nous ne trouvions pas le temps de rester dans les centres-ville, essayant toujours de rester sur la route principale. Arrivés à Tinogasta à environ 17h, enthousiastes à l'idée que nous avancions mine de rien lentement mais sûrement, nous tâchions d'atteindre le village suivant quand une voiture s'arrêta près de nous pour cracher deux autres auto-stoppeurs, des copains mochilleros. Nous n'avons malheureusement pas l'équivalent de ce mot en français, qu'on traduirait globalement par voyageur en sac, mais cela comprend aussi naturellement le principe du stop et de vie au jour le jour, c'est tout un concept de vie résumé en un seul mot, que je préfère de loin à «touriste», mais qui reste tout de même moins spirituel et pompeux que voyageur. Mais encore une fois je m'égare! Paloma et Enzo aussi se rendaient au Chili et comptaient également dormir dans le village suivant de Fiambala. Ils s'éloignèrent de nous car faire du stop à 4 est quasiment impossible et nous attendîmes. Les voitures passèrent, de plus en plus rares, et l'orage vint: nous nous rejoignimes dans un petit abri, puis les heures passèrent, la nuit tomba et on se trouva un autre abri meilleur où passer la nuit. Paloma venait du Chili et nous parla de son pays: là-bas les gens sont bons, il est plus sûr d'y voyager qu'ailleurs, et faire du stop y est facile. Elle et Enzo, Argentin pour sa part retournaient chez elle, au Sud du Chili et elle nous invita Louis et moi à passer, ce que nous avons accepté puisque le voyage sera rapide. De plus, elle avait un argument de taille: les gens du Nord du Chili sont apparemment plus froids que ceux du Sud... Que de raisons de nous décider! Nous avons partagé la nourriture que nous avions, à savoir pâté et conserves froides pour notre part et fruits, pain, yaourt et Dulce de Leche pour la leur, et avons dormi dans une maison abandonnée, qui comportait l'essentiel: 4 murs et un toit!

On s'est réveillé ce matin à l'aube. Quelques voitures passaient déjà, après un échange de coordonnées, nous nous sommes salués et avons chacuns étaient d'un côté de la route pour lever le pouce. Quand une voiture nous prit, elle ne les avait pas vu, mais ça ne dura pas longtemps: une heure de route plus tard, à la sortie du village suivant, voilà que nous les retrouvions, de la même manière que nous les avions rencontré hier! Mais on s'est vite séparés afin de ne rater aucune occasion de se rapprocher de la frontière, les voitures étant de plus en plus rares. Pour notre part, nous avons été pris par un homme des environs, pendant que Paloma et Enzo ont préféré s'arrêter au kiosque et attendre la voiture suivante. Nous ne les avons pas revu depuis! L'homme s'avérait être très cultivé, curieux de tout, renseigné sur la géologie, l'histoire, la science, s'intéressant à ce que nous lisions en attendant qu'une voiture passe. Durant les 100 kilomètres de voyage au coeur de montagnes de calcaire désertiques, il nous parla beaucoup des lieux, de la faune, de la flore, pendant que Louis et moi ne pouvions qu'acquiescer, nos yeux grands ouverts, tâchant de prendre ces photos qui ne réussissent jamais à capter la beauté du lieu. Du rouge, du blanc, du gris, du vert, un peu de jaune, et le bleu du ciel. Le silence, la  nature, le sauvage. Notre conducteur nous déposa sur la route, près d'un petit refuge arrivé ici comme par magie, rare trace de l'homme en ces lieux si l'on exceptait la route. Lui allait dans un petit village reculé où nous n'aurions trouvé personne pour aller à la frontière: alors nous attendîmes, dans le vent froid de la montagne, et le silence, qu'une voiture passe. A la fois magique et angoissant! Nous n'avions plus qu'une fin de paquet de gâteau et une conserve de petit pois, il fallait absolument que quelqu'un passe.

Fort heureusement une demi-heure plus tard notre voeu fut exaucé et un charmant couple de Buenos Aires nous prit. Renseignés sur les lieux, bavards, très avenants, le voyage fut une partie de plaisir même si nous ressentions la fatigue plus que jamais. Enfin nous arrivâmes à la douane et ils nous laissèrent là pour que nous attendions que quelqu'un aille jusqu'au Chili. Puisqu'il n'y avait rien d'autre que la douane ici, ils nous donnèrent deux sandwichs que nous avons dégustés avec bonheur, l'après-midi à peine entamée. Puis nous avons attendu en compagnie de la gendarmerie et de la douane forts aimables, ainsi que de Flore, une Chilienne attendant depuis le matin qu'une voiture passe pour Copiapo, notre destination. Et les heures passèrent, et nous avons lu longtemps, nous sommes inquiétés un peu aussi, et au bout de 7h d'attente la douane ferma: plus personne ne passerait ici pour la journée. Nous devons attendre demain. Heureusement juste à côté de la douane se trouve un petit refuge pour les gens coincés comme nous. Nous n'avons pas de sous pour payer un lit mais le maître des lieux nous a accepté quand-même, on ne pourrait dormir dehors sans mourir de froid. Nous avons pu parler à Flore qui nous a dit qu'elle pourrait nous trouver de quoi nous héberger à Copiapo, et peut-être même trouver un peu de travail si nous restons une ou deux semaines, ce qui serait bienvenu puisque nous sommes pour l'instant à sec! Les cartes de crédit ne s'utilisent pas beaucoup ici, les gens ne sont pas très équipés. Mais ce n'est pas grave, les gens sont bons et comprennent, ils nous donnent le nécessaire, et nous n'avons pas trop le sentiment de survivre, juste de vivre simplement, ce qui n'est pas plus mal.

Et voilà maintenant plus d'une heure que j'écris nos aventures... Et quelles aventures! De vrais galériens bien comme on aime, c'est mine de rien sympa de ne se soucier que de demain. Nous voilà maintenant dans de petits lits avec plein de couvertures pour tâcher de palier au froid qu'il fait dans la pièce non chauffée: sac de couchage et deux couvertures pour moi, trois couvertures pour Louis... La nuit risque d'être moins agréable que la précédente! Mais au moins nous avons eu une douche chaude pour la première fois depuis plus de deux semaines, et ça, ça change la vie! Enfin, il est tant que j'aille dormir. Au plaisir de vous avoir raconté ma vie!

4 commentaires:

  1. J'admire et j'apprend beaucoup en lisant ton blog. Merci de partager autant ! et ne sois pas si dure avec toi même ;)
    Buen viaje !
    Emma (on se connait de la chorale au collège :p et ma soeur est pote avec Lou et Amaya)

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  2. Merci ca fait plaisir de lire des commentaires comme ca! Après tout c'est fait pour servir aussi!

    Et oui je vois qui tu es ;)!

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